L’histoire du marais de Larchant : une relation étroite et ancienne entre le village et un espace exceptionnel

Un culte païen des eaux

La disposition particulière de ce qu’on appelle « le golfe de Larchant », résultat de l’érosion de la mer stampienne, apporte à ce lieu une originalité et un mystère exceptionnel en île-de-France. Face à ce paysage de rochers épars sur des pentes sablonneuses, entourant un marais capricieux et énigmatique, le voyageur ressent qu’il a devant lui le résultat de la rencontre entre le lent façonnement des temps géologiques et l’empreinte laissée par l’aventure humaine.

Le marais de Larchant est sans doute lié depuis l’origine à la présence de l’homme en ce lieu. D’abord par l’apport de l’eau, si précieuse en ces sols sablonneux et perméables. Un peuplement est attesté depuis plus de 10 000 ans : les nombreux rochers et grottes ornées et les vestiges de l’outillage en sont le témoignage. Ensuite, le fonctionnement si particulier du marais, lente résurgence de la nappe phréatique profonde à l’air libre, a certainement été à l’origine d’un culte de l’eau, sans doute l’une des motivations profondes qui fait du site de Larchant un endroit mystique, bien avant d’être un haut lieu de la spiritualité chrétienne.

Les vestiges archéologiques que l’on a trouvés permettent d’établir des correspondances entre Larchant et d’autres lieux de culte gallo-romains. Tout converge pour que Larchant ait été le lieu d’un culte païen des eaux à cette période et même plus anciennement, comme Sceaux du Gâtinais, Pithiviers le Vieil ou Châteaubleau dans les environs. La plupart de ces sanctuaires ont été détruits par les invasions barbares au IIIe et IVe siècles.

Celui de Larchant a sans doute été détruit par le feu entre l’an 350 et 378, selon les vestiges qui ont été découverts à proximité du marais (des fragments de poterie sigillée et des restes de murs recouverts d’une couche de cendres).

 

Le Chapitre de Notre-Dame de Paris, «seigneur» de Larchant et du marais

L’histoire connue du marais commence lorsque le Chapitre de Notre-Dame de Paris devint le « seigneur » de Larchant, par le don fait par son évêque, Renaud de Vendôme, en l’an 1005. Depuis cette date, le marais a été l’une des préoccupations principales des chanoines.
Tout d’abord parce que l’alleu de 1005 ne mentionnait pas spécifiquement le marais et qu’il leur fallut obtenir du roi Philippe Auguste en 1190 la confirmation de leurs droits sur ce territoire. Les commissaires royaux Jehan de Curci et Bouchard de Valgrinose en définirent les limites.
Ensuite, pour défendre leur droit de pêche contre les intrusions diverses des habitants des environs. Ce qui signifie que l’endroit était poissonneux et convoité. Les textes nous restituent plusieurs de ces procès : en 1276 contre Michel dit Vittout et Pierre de Buissan, en 1277 contre Etienne dit Lepage.

Le marais produisait aussi des roseaux utilisés pour les couvertures des maisons du village.
Là aussi, le Chapitre se montrait soucieux de ses droits et les autorisations de prélèvement étaient dûment encadrées. Ainsi, en 1726, permission fut accordée aux habitants de Villiers de prendre des « rouches » pour réparer leurs maisons détruites par un incendie, ce qui provoqua une opposition des habitants de Larchant. Le Chapitre leur rappela qu’il était le seul propriétaire et les menaça d’amende et de confiscation de leurs chevaux, charrettes et outils. La gestion des arbres était également soigneusement contrôlée par les chanoines. En 1750, des habitants furent poursuivis pour avoir planté sans autorisation 200 pieds de saule dans le marais.

 

Tous acharnés à assécher le marais 

L’histoire du marais est échelonnée de tentatives pour l’entretenir, l’assécher et conquérir ainsi de nouvelles terres cultivables. A cette époque, le marais était beaucoup plus étendu que de nos jours : sans doute plus de 300 ha. Dès juin 1389, nous avons trace d’un marché passé entre le Doyen et les chanoines de Notre-Dame et les pionniers Colin Garmer et Robin Larmite pour revêtir et réparer les fossés et chaussées du marais de Larchant.
Ensuite, l’histoire a retenu les noms de Jehan Jourdan (en août 1583), de Jérôme de Coomans (en juillet 1611), de Marc de Coomans et Pierre de La Planche (en 1612), de Pierre de Serres (en avril 1634). En 1656, le sieur de Montalais s’associa à Pierre de Perrien, marquis de Crenan en Bretagne, pour dessécher le marais en ouvrant des tranchées, fossés et canaux pour écouler les eaux dans la rivière du Loing. Un canal, dit « la rivière sèche » fut creusé. Mais le seuil à franchir fut trop élevé et le projet n’aboutit pas.

Ces diverses tentatives furent plus ou moins heureuses. C’est-à-dire que leur succès éventuel ne perdurait que quelques années. Des procès entre les entrepreneurs et le Chapitre émaillent ainsi l’histoire du marais. En fait, le marais avait son propre rythme, alternativement presque asséché ou envahissant les terrains environnants, selon la rareté ou l’abondance de son alimentation profonde en eau. Il fallut attendre le XXe siècle, pour que le forage de puits au gouffre karstique, par Paul Malherbe, en 1932, réussisse à faire baisser la cote des eaux du marais. Actuellement, le marais lui-même ne recouvre plus qu’une centaine d’hectares.

 

Le marais et ses propriétaires privés, une histoire d’espoirs déçus 

La Révolution française ouvrit un nouveau chapitre de l’histoire du marais. Dans le cahier de doléances qu’ils rédigèrent en 1789, les habitants de Larchant se plaignirent du marais qu’ils décrivent comme un lieu « beaucoup plus onéreux que profitable », qui occasionnerait des « maladies épidémiques comme fièvre putride », bien que les textes ne mentionnent pas spécifiquement de tels maux. Pourtant, ces mêmes habitants s’opposèrent farouchement à la vente du marais comme bien national en décembre 1792, à l’instar d’autres propriétés de Chapitre de Notre-Dame à Larchant. A la suite d’une longue procédure, la vente du marais n’eut lieu qu’en 1820, à un certain Louis François Sanson, de Nemours.

Au cours du XIXe siècle, plusieurs propriétaires se succédèrent. Vers 1840, le marais fut acheté par Nicolas Deleau, célèbre chirurgien militaire sous l’empire et spécialiste de l’audition, originaire du nord. Son fils, Léon Deleau, lui aussi chirurgien, fut maire de Larchant. Après sa mort, dans des conditions tragiques en 1878, le domaine -baptisé « propriété des prairies de Larchant » – fut vendu par adjudication en décembre 1881.

De 1881 à 1938, cinq propriétaires se succèdent : Pringault (1881-1895), Pradeau (1895-1910), Gasteau (1910-1913), Mouzaret (1913-1932), Peny (1932-1938). Sans doute rapidement découragés les uns après les autres par la montée périodique des eaux du marais, qui recouvraient la totalité du domaine et au-delà, rendant impossible toute mise en valeur.